Il vint un temps où les Hommes, enfin, levèrent les yeux.
Après des siècles passés à creuser, brûler et consommer dans une frénésie délétère, ils virent ce qu'ils avaient fait. Ils virent les fleuves dont le sang charriait le poison, les forêts devenues des fantômes de cendre, et le souffle court de l'océan qui s'épuisait sous un linceul de plastique.
Une grande peur les saisit. Une peur suivie d'un remords immense. Ils comprirent qu'ils étaient les enfants d'un organisme vivant, et qu'ils avaient méthodiquement saccagé leur propre mère.
Alors, avec l'énergie du désespoir, ils décidèrent de la soigner.
Ils mobilisèrent tout ce qui faisait leur puissance : leur ingénierie, leur science, et surtout, leur économie. Des milliards furent levés pour "la transition". Des fonds verts furent créés pour financer la "croissance durable". On planta des arbres à la chaîne, on installa des murs de panneaux solaires dans des déserts vidés de leur vie, on captura le carbone pour l'enfouir plus profondément encore dans les entrailles de la Terre.
Les Hommes s'affairaient, fiers de leur grand œuvre réparatrice. Ils pansaient les plaies avec des billets verts, persuadés que le remède se trouvait dans la même caisse à outils que le poison. Car l'argent de cette grande guérison, d'où venait-il ?
Il venait de la dernière mine de lithium ouverte au Chili pour construire les batteries de la repentance. Il venait des bénéfices records des mêmes entreprises qui, la veille encore, vendaient le pétrole de la catastrophe. Il venait de la transformation de la Nature elle-même en une nouvelle marchandise, un prix posé sur des dons que Gaïa leur avait toujours offerts gratuitement, convertis en une promesse de profit immédiat.
Les Hommes s'épuisaient à colmater les brèches, mais l'agonie de la planète ne cessait pas. Les blessures, sous les bandages de la finance, continuaient de s'infecter. Confus, ils s'arrêtèrent. Dans le silence de leur échec, pour la première fois, ils écoutèrent.
Et une voix s'éleva, non pas dans leurs oreilles, mais dans leur conscience. Une voix aussi vieille que la roche et aussi patiente que les marées.
Les hommes se concertèrent. La monnaie est une vue de l'esprit, une construction mentale et sociale. L'histoire des Hommes leurs a d'abord fait idolâtrer l'or comme système monétaire, car ce métal transportait en lui un système de confiance qui se passait de convention. Puis, ils ont créé des banques qui émettaient de la monnaie "conventionnelle", sans contrepartie précieuse, dans le but d'accélérer la croissance. Mais ils l'ont fait sans comprendre que cette croissance meurtrissait la Terre à chaque nouvelle extraction, à chaque nouvelle exploitation de ses ressources.
Dans un monde moderne, la monnaie peut être une convention, un choix politique et pragmatique, une chose créée pour répondre à des dilemmes et des critères particuliers dans l’histoire. Dans le but de soigner la Terre, de la guérir, de la préserver, nous allons ensemble établir un nouveau contrat : la valeur de la monnaie ne tiendra plus tant à ce qu’elle a permit d’exploiter ou de saccager, mais à ce qu’elle a permit de régénérer et de préserver. Cette idée implique la création de nouvelles institutions mondiales qui représentent GAÏA, des institutions que les hommes créeront pour préserver et régénérer notre Terre mère, protectrice et nourricière.
Dans notre système monétaire actuel, les activités dégénératives sont lucratives alors que celles régénératives sont insolvables, du moins à court terme. Imaginons alors le contraire : Une monnaie qui serait créée à mesure de ce qu’elle régénère et se dégraderait à mesure de ce qu’elle dégrade.
Alors GAÏA répondit aux hommes : Bien ! Vous voilà maintenant avec une solution pour me guérir et me préserver, préserver les conditions de la vie que je porte en moi, avec moi… Moi GAÏA, votre mère à tous.