C'est un secret qui doit être dévoilé ! Ce ne sont pas les États qui diffusent la monnaie dans l'économie, mais les banques commerciales lors des opérations de crédits. Les banques ne prêtent pas de monnaie (pre)existante provenant des dépôts des épargnants, elles créent et prêtent une monnaie qui n'existe pas. Ce sont les intérêts sur ces crédits qui rémunèrent les dépôts. Comme le disait l'économiste Joseph Schumpeter en 1926 : Ce ne sont pas les dépôts qui sont préalables aux crédits, ce sont les crédits qui font les dépôts !
Contre-intuitif mais bien réel. Nous allons découvrir ici que la création monétaire par les banques est un accélérateur de croissance, pour le meilleur et pour le pire. Ce système que l'on nomme économie monétaire de production à monnaie dette endogène, permet une accélération de la croissance et de débloquer des dilemmes qui seraient consécutifs à une monnaie exogène. Mais cela ne va pas sans poser certains autres problèmes.
Aujourd'hui, nous allons plonger dans le monde de la création monétaire et explorer cette théorie de monnaie bancaire endogène. Déjà précisons que nous ne parlons ici que de monnaie bancaire, nous ne parlons pas de système monétaires comme l’or, de cryptoactifs, ou monnaies alternatives, citoyennes ou complémentaires.
Peu de gens savent comment est créée la monnaie, d’où provient-elle ? Certain pensent que la monnaie a toujours quelque chose à voir avec l’or ou que c’est l’État qui a le privilège de l’émission de la monnaie. Ce sujet est pourtant central et devrait être compris par l'ensemble des citoyens, car comprendre les mécanismes de l'économie, c'est le premier pas vers l’émancipation.
En réalité, ce sont les banques qui créent la monnaie. N’importe quelle banque commerciale, comme la société générale, BNP, ou le crédit Agricole disposent de ce privilège. La création monétaire se fait lors des opérations de crédits. Nous allons déjà retenir ici deux notions importantes qui nous suivront jusqu’à la fin de cette série. Lorsque la banque crée de la monnaie et de la dette lors d'un crédit, elle crée un flux monétaire, et lorsque que le crédit est remboursé, la monnaie et la dette se neutralisent mathématiquement, c’est le reflux monétaire. Nous commençons à percevoir que la monnaie bancaire dispose d'un lien étroit avec la comptabilité en partie double, la monnaie étant un solde positif et la dette un solde négatif.
Nous allons maintenant aborder une image allégorique, une « big picture » pour bien comprendre l’idée de la création monétaire que j’appelle la métaphore des trous. Cette idée a pour but de vous faire comprendre la création monétaire sans utiliser la comptabilité traditionnelle qui n’est parlante que pour les initiés.
Imaginons que le niveau du sol plat soit le zéro comptable. Lorsque la banque crée la monnaie, elle creuse un trou. Ce trou correspond à la dette. C’est à dire, l’argent que vous devez à votre banque. Les coups de pelles qui sortent de ce trou sont au dessus du niveau du sol, ils correspondent à la monnaie, ou le cash flow que la banque a créée en creusant un trou.
Imaginons que la banque vous ait accordé un crédit pour créer votre entreprise. Vous avez maintenant un « trou », (c’est-à-dire une dette), mais aussi des « coups de pelles » (c’est-à-dire du cash) à votre dispositions pour acheter vos machines, vos camions, vos industries, vos matières premières pour commencer à produire vos propres marchandises.
Les « coups de pelles » que vous allez envoyer à d’autres agents économiques, en échange de leurs produits, leur serviront à combler leurs propres « trous », donc contribuer à solder leurs propres dettes. Réciproquement, les marchandises que vous allez produire et vendre vous permettront de recevoir des « coups de pelle » de la part de vos clients, qui vous permettront de combler votre propre dette à la banque.
Nous pouvons donc dire ici, que le flux des uns permet le reflux des autres. Nous voyons bien ici que nous avons affaire à une logique de mathématiques comptables. La loi du reflux n’est rien d’autre qu’une addition entre des chiffres négatifs et des chiffres positifs. Il devient clair ici que la dette et la monnaie se neutralisent mathématiquement lors des remboursements de crédits.
Nous allons maintenant ajouter à cette idée la notion d’intérêt, c’est à dire, l’usure ou le coût du crédit pour la rémunération des dépôts. Dans cette métaphore, on va imaginer que des petites « poignées de terre » sont prélevées sur chaque coups de pelle. Les « poignées de terre » prélevées sur les « coups de pelle » permettent donc de rémunérer les « montagnes » (l’épargne et les banques).
Dans cette métaphore les « montagnes » représentent l’épargne. La monnaie de votre épargne qui se trouve en solde positif, au dessus du niveau du sol. On croit souvent que le travail des banques consiste à prêter aux emprunteur l’argent des déposants, mais on voit bien ici que les banques n’auraient finalement pas besoin de disposer des dépôts des épargnants pour prêter aux emprunteurs, puisque les banques disposent du privilège de création monétaire à partir de rien. C’est ce que l’on appelle la création ex nihilo.
Imaginons l'hypothèse erronée où les banques ne créent pas la monnaie qu’elles prêtent, mais prêtent des dépôts préexistants aux crédits (théorie de la monnaie exogène). Nous nous retrouverions face à un problème : de où peut bien provenir le profit supplémentaire nécessaire pour payer les intérêts à la banque ?
Dans ce scénario de monnaie exogène, la monnaie existe en quantité fixe et les banques ne créent pas de monnaie. Pour rémunérer les dépôts, il y aurait nécessairement un mécanisme de prédation entre les « montagnes » des uns et celles des autres. Si une épargne gagne, cela veut forcément dire que l’autre perd. Mais ici, aucune « montagne » ne perd et toutes les épargnes gagnent. Comment expliquer cela mathématiquement parlant ? C’est très simple, si toutes les montagnes gagnent simultanément, cela veut dire que de la nouvelle monnaie est créée en permanence par les banques lors des opérations de crédits et que les intérêts sur ces nouveaux crédits alimentent en permanence la rémunération des épargnes.
Ce « dilemme de l’origine du profit » avait déjà été présenté par Karl Marx. En partant de cette hypothèse erronée où la quantité de monnaie disponible soit fixe, d'où peut bien provenir le profit supplémentaire nécessaire à la rémunération des banques et des épargnes ? La réponse à cette question est très simple, les banques créent continuellement de la nouvelle monnaie de manière à alimenter le système qui les fait vivre.
Tout cela n’est pas sans conséquences. Nous voyons qu’il y a nécessairement un besoin continuel de crédit pour alimenter un besoin continuel de croissance et ainsi, rémunérer continuellement les déposants et les banques. Dans cette logique, où ce sont les coups de pelles sortis des trous suivants qui permettent de combler les trous précédents et où des poignées de terre (intérêts composés) sont prélevées sur les coups de pelles, les trous ne peuvent pas demeurer éternellement de la même taille. Ils sont nécessairement de plus en plus grands.
Par ailleurs, le fait que les intérêts composés doivent rémunérer les dépôt, n'est qu'un problème auquel s'ajoute l'évasion fiscale. L’évasion fiscale est une fuite des soldes positifs ; les coups de pelle s’enfuient vers des destinations off shore, et iront s’accumuler dans des paradis fiscaux sur les hautes montagnes de Suisse par exemple (ça, c'est fort de métaphore !). Pour conséquence, le mécanisme de reflux entre la monnaie évadée et la dette ne peut pas avoir lieu. Les paradis fiscaux accumulent des soldes positifs et nous laissent dans l'embarras avec des accumulations de soldes négatifs.
Comment compenser les manques engendrés par le prélèvement des intérêts et l'évasion fiscale ? Il nous faut alors creuser des trous de plus en plus profonds pour que ce système puisse perdurer et alimenter un système vicié et calamiteux où les dettes anciennes sont soldées continuellement par des dettes nouvelles et où les paradis fiscaux prospèrent.
Il faut imaginer ce système comme une gigantesque émulation monétaire d'une complexité infinie où l’endettement des suivants permet le désendettement des précédents. Et comme les banques promettent des rémunérations aux épargnants ou aux produits financiers, elles ont besoin de créer toujours plus de dettes toujours de plus en plus grandes.
Nous voyons que de la dette nouvelle est créée en permanence pour permettre à ce système de s'auto entretenir.
De plus, on fait croire aux gens (ou plutôt, on les laisse croire) que c’est grâce à leur épargne que tourne l’économie, alors que c’est l’inverse. Ces croyances engendrent une sorte de devoir moral de rembourser la dette, puis-qu’à priori, cet argent appartient à quelqu'un.
Toutes ces fuites de soldes positifs engendrent nécessairement des manques à gagner pour combler nos soldes négatifs. S’il manque des soldes positifs pour combler nos soldes négatifs, cela pourra avoir de multiples conséquences, comme une crise de liquidité, crise financière, une nouvelle crise des subprimes et cela engendrerait nécessairement des effets dominos sur tout le reste de l’économie. Peut-être même que les états ou les banques centrales devront encore sauver le système bancaire et éviter son effondrement, à grands coup de politique monétaire non-conventionnelles, de quantitative easing et des taux d'intérêt négatifs.
Mais cela revient encore à ajouter de nouvelles dettes aux Etats qui devront être soldées par l’argent de l’impôt et donc, de devoir faire tourner l’économie marchande qui devra elle-même produire de nouvelles dettes pour exister.
Le mécanisme de dette par les banques constitue ainsi une sorte de mythe de Sisyphe économique. Une malédiction éternelle où il faudra toujours créer des dettes plus grandes pour combler les dettes plus anciennes. Creuser de nouveaux trous de plus en plus profonds pour combler les trous anciens. Rémunérer des épargnants et entretenir l'évasion fiscale.
Il est important de comprendre le rôle des banques dans l'expansion ou la contraction de l'offre monétaire (et donc de la croissance). Les banques centrales contrôlent la base monétaire (monnaie fiduciaires et réserves bancaires) et utilisent divers outils de politique monétaire pour influencer le montant total de monnaie dans l'économie. Cependant, la majeure partie (90%) de la monnaie en circulation est créée par les banques commerciales à travers les crédits. Lorsqu'une banque commerciale accorde un prêt, elle inscrit le montant du prêt comme un actif (le prêt est un actif pour la banque car c'est un montant qui lui sera remboursé avec intérêt) et simultanément, elle crédite le compte du client d'un montant équivalent, augmentant ainsi la quantité de monnaie disponible dans l'économie.
Il ne s’agit donc pas de créer des pièces et des billets, les banques créent de la monnaie sous forme d’écritures comptables (scripturale). La monnaie se crée par le crayon du banquier (flux) et se détruit par sa gomme (reflux), bien que de nos jours, ceci se réalise de manière logicielle.
Le système de double entrée en comptabilité signifie que chaque transaction est enregistrée à deux endroits : une fois comme débit et une fois comme crédit. Lorsque les banques créent de la monnaie par crédit, elles utilisent ce système pour maintenir l'équilibre comptable. Le crédit octroyé est enregistré comme un actif (prêt à recevoir) et le montant correspondant est crédité au compte du client, augmentant les dépôts dans le bilan de la banque (ce qui est une obligation pour la banque).
Les banques ne peuvent pas créer de la monnaie de manière illimitée. Elles sont soumises à des exigences réglementaires, comme les ratios de réserves obligatoires, les exigences en fonds propres, les taux directeurs de banques centrales qui limitent le montant de l'argent qu'elles peuvent prêter. Ces régulations visent à assurer la stabilité du système financier.
Maintenant que nous avons compris l’essentiel du fonctionnement de la monnaie bancaire, il est temps de faire le lien avec le dilemme écologique. Nous allons voir que c’est la nature et ses ressources qui sont les payeurs en premier ressort de ce mécanisme.
Nous avons vus que les banques ne prêtent que sous la promesse de rentabilité. Mais comprenons que la plupart du temps, la rentabilité est nécessairement liée à une économie extractive. D'un point de vue court-termiste, l'extraction génère des revenus, la réparation engendre des charges. Alors que du point de vue long terme, les investissements écologiques réalisés le plus rapidement possible permettraient d'éviter des catastrophes bien plus coûteuses.
Seule l’extraction et l’exploitation de ressources naturelles seront capables de produire des biens et des services marchands pour obéir aux critères bancaires de la rentabilité. C’est la nature, ses ressources naturelles, ses énergies primaires qui permettent à l'économie humaine de prospérer. Les hommes prélèvent gratuitement des choses à la nature pour en faire des actifs commerciaux, et ce sont les domaines les plus extractifs, nuisibles et polluants qui sont les plus rentables.
Plus nos dettes seront élevées et plus la nécessité d'exploiter les ressources naturelles sera élevée en conséquence. Le but de cette extraction est de produire des marchandises, actifs tangibles adossables aux dettes financières.
Arrive le point d’orgue pour conclure cette métaphore des trous : On peut voir la dette comme étant la promesse d’une exploitation future de ressources naturelles. Cette contrainte provoquera obligatoirement le saccage de la biodiversité et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Nous nous obligeons à creuser des trous de plus en plus profonds dans la nature pour combler des trous de plus en plus gros sur nos feuilles de comptabilité.
Et comme nous avons vus que cette dette se perpétue dans un éternel recommencement, le désendettement des agents économiques ne pourra que se faire que par le saccage continuel de la nature. La planète dispose-t-elle des ressources nécessaires pour que les hommes perdurent dans cette logique prédatrice et calamiteuse ? En plus des problèmes environnementaux, s'ajouteront nécessairement les dilemmes de pics de productions.
Maintenant que nous avons une image allégorique du processus par lequel la monnaie est créée par les banques, observons la dette par des chiffres. Si nous convertissons les dettes publiques et privées du monde entier et que nous les convertissons en dollar, le niveau d’endettement mondial est de 240000 milliards de dollars. Cela signifie que nous allons piller les ressources de dame nature pour pour produire un équivalent en marchandises capable de générer un reflux monétaire sur 240000 milliards de dollars.
Au-delà du fait que dame nature ne sera pas ravie, je vous rappelle que cette dette ne s’est pas éteinte, elle n’a fait que grossir en changeant de mains ! Cela veut dire qu’il faudra à nouveau redemander à la planète assez de ressources pour produire autant de choses qui permettront un nouveau reflux, et ainsi de suite de manière infinie !
Nous nous comportons avec la nature comme si elle pouvait nous fournir éternellement des ressources adossables à des dettes interminables.
La dette bancaire est une sorte de mythe de Sisyphe économique, une malédiction absurde et éternelle où les hommes se contraignent au saccage de la nature pour réussir économiquement et combler des dettes de banque qui ne pourront jamais s'éteindre. Du moins, si l'on perdure dans ce mécanisme.
Certains économistes soutiennent que le système actuel de monnaie basée sur la dette est le seul moyen de garantir la croissance économique. D'autres affirment que ce système est intrinsèquement instable et conduit à des crises économiques et environnementales. Le système de monnaie basée sur la dette présente des avantages et des inconvénients. Il est important d'analyser objectivement ses implications économiques, sociales et environnementales afin de déterminer les meilleures options pour l'avenir. Que ce soit l'idée de monnaie exogène ou de monnaie endogène, il semblerait qu'aucun système ne soit parfait. S'ils semblent tous deux apporter des solutions, ce ne peut être qu'en apportant de nouveaux dilemmes. Il faudra possiblement envisager un mix entre ces deux notions : une monnaie exogène à certains endroits et endogène en d'autres.
De manière générale, nous nous sommes enfermés dans un piège de la comptabilité. Pour sortir de ce piège nous devrons inventer un stratagème de la comptabilité.
Pour cela, nous aborderons l’idée qu’une monnaie sans dette pourrait agir comme une sorte d'interrupteur de la malédiction. Une monnaie sans dette sera comme une arme de désendettement massive ! Une sorte de nouveau contrat social et écologique mondial qui permettrait de répondre efficacement à nos dilemmes contemporains. Atténuer à la fois nos dettes envers la nature et alléger nos dettes envers les banques, tout en redonnant du sens à la vie des hommes.