D'où vient la monnaie ?
Le sujet monétaire est vaste, complexe, truffé de croyances, de fausses vérités et de dogmes. La nature monétaire change constamment et a changé de nombreuses fois au cours de l'histoire. Elle changera encore dans le futur, à n'en point douter et en fonction des critères, contraintes et objectifs que nos sociétés connaitront. Du moins, si la monnaie ne change pas, c'est la politique monétaire ou les rouages de son organisation qui évolueront. Comme le dit Edouard Cottin Euziol, la monnaie est une vue de l'esprit.
Bienvenue dans le domaine le plus obscur de la plus mal aimée des disciplines : la monnaie et l'économie.
La monnaie est un moyen d'échange qui permet de faciliter les transactions commerciales. Elle est apparue il y a 2700 ans, supposément pour remplacer le troc, qui était un système d'échange basé sur la valeur intrinsèque des biens et services échangés. Nous allons voir que c'est un peu plus compliqué que cela.
Les premières monnaies
Les premières monnaies ont pris plusieurs formes, des coquillages, des plumes, etc.. Puis, sont arrivées des pièces de métal précieux, comme l'or ou l'argent. Elles étaient frappées par les États ou par des autorités privées. Ces pièces étaient ensuite échangées contre des biens et services. Les premières pièces de monnaie ont été frappées en Lydie, en Asie Mineure, vers le VIIe siècle av. JC. Elles étaient fabriquées en électrum, un alliage d'or et d'argent.
Les monnaies en métal précieux se sont rapidement répandues dans le monde entier. Elles ont été adoptées par les Grecs, les Romains et bien d'autres civilisations.
L'apparition de la monnaie papier
La monnaie papier est apparue au Moyen Âge. Elle était initialement une forme de reconnaissance de dette, émise par les banques ou les commerçants. La première monnaie papier officielle a été émise en Chine, au XIe siècle. Il s'agissait d'un billet de banque, appelé Jiaozi ( Jiāozǐ du chinois change ). La monnaie papier s'est répandue en Europe au XIIIe siècle. Elle a été adoptée par les banques et les États, qui ont commencé à l'émettre.
Le système monétaire moderne
Aujourd'hui, la plus grande partie de la masse monétaire existe de manière scripturale, c'est à dire des écritures comptables. 9/10 de la masse monétaire en circulation en Europe est scripturale, tandis qu' 1/10 est fiduciaire (pièces et billets).
Contrairement aux croyances répandues, les États n'ont pas le monopole de la diffusion de la monnaie. Les banques centrales contrôlent le système monétaire en émettant de la monnaie et en fixant les taux d'intérêt, et les banques commerciales ont le privilège de diffuser la monnaie auprès des agents lors des crédits. C'est ce que l'on appelle la création ex nihilo.
La monnaie est un outil essentiel pour l'économie moderne. Elle permet de faciliter les échanges commerciaux, de mesurer la valeur des biens et services, et de conserver la valeur des richesses.
Mais le fait que ce soit les banques commerciales qui aient ce rôle, provient d'une doctrine dépassée et inexacte qui postule que l'économie ne relève que d'un grand marché, et que tout ce qui n'est pas marchand n'a aucune raison d'être ou doit être réduit à son plus simple besoin : la police, la justice et l'armée. Cela suppose que toute dépense publique vers des domaines non-marchands ne font qu'entraver la bonne marche de l'économie et sont promues par le clientélisme de politiciens gauchistes, arrivistes et corrompus. Faisons un tour sur les pensées de quelques-uns des meilleurs auteurs de la question.
Dans son ouvrage Essai sur le don, publié en 1925, Marcel Mauss, anthropologue et sociologue français, développe la notion de fait social total. Il s'agit d'un phénomène social qui touche à toutes les dimensions de la vie sociale, à la fois économiques, juridiques, politiques, religieuses, etc.
Mauss considère que la monnaie est un fait social total. Elle ne se limite pas à une simple fonction économique, mais elle est également un objet chargé de significations sociales, culturelles et politiques.
La monnaie comme moyen d'échange
La fonction économique de la monnaie est la plus évidente. Elle permet de faciliter les échanges commerciaux en permettant aux individus d'échanger des biens et services sans avoir à transporter des marchandises ou des animaux.
La monnaie comme symbole de richesse
La monnaie est également un symbole de richesse. Elle permet aux individus d'accumuler de la richesse et de la transmettre à leurs descendants.
La monnaie comme instrument de pouvoir
La monnaie peut être utilisée comme instrument de pouvoir. Elle permet aux États de contrôler l'économie et d'influencer le comportement des individus.
La monnaie comme moyen de communication
La monnaie peut être utilisée comme moyen de communication. Elle permet aux individus de transmettre des messages et des valeurs.
La monnaie comme lien social
La monnaie peut être utilisée comme lien social. Elle permet aux individus de se connecter les uns aux autres et de participer à la société. La monnaie est un phénomène social complexe qui touche à toutes les dimensions de la vie sociale. Elle est un objet chargé de significations sociales, culturelles et politiques. Voici quelques exemples concrets qui illustrent la notion de monnaie comme fait social total :
Dans certaines sociétés traditionnelles, la monnaie est utilisée pour payer les services religieux. Dans ce cas, la monnaie est un symbole de la relation entre les individus et les dieux.
Dans les sociétés modernes, la monnaie est utilisée pour voter. Dans ce cas, la monnaie est un instrument de démocratie.
Dans les sociétés capitalistes, la monnaie est utilisée pour mesurer le succès. Dans ce cas, la monnaie est un symbole de la réussite sociale.
La monnaie est un phénomène social qui évolue au fil du temps. Les fonctions et les significations de la monnaie changent en fonction des contextes sociaux et culturels.
La, fable du troc d'Adam Smith est une théorie qui a eu une influence considérable sur la pensée économique. Elle est souvent utilisée pour expliquer la nécessité de la monnaie dans une économie de marché. Cependant, cette théorie a également été critiquée pour sa simplification excessive de la réalité.
Dans son ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, publié en 1776, l'économiste écossais Adam Smith propose une théorie de l'origine de la monnaie qui est devenue classique. Cette théorie, appelée fable du troc, est souvent utilisée pour expliquer le caractère incontournable de la monnaie dans une économie de marché.
Selon Smith, les premières sociétés humaines étaient basées sur l'autosuffisance. Les individus produisaient eux-mêmes les biens et services dont ils avaient besoin. Cependant, avec le développement de la division du travail, les individus ont commencé à produire des biens et services qu'ils ne consommaient pas eux-mêmes. Ils ont donc eu besoin d'échanger ces biens et services contre d'autres biens et services dont ils avaient besoin.
Smith imagine que, dans une première étape, les échanges se sont déroulés par le troc. Le troc est un système d'échange dans lequel les biens et services sont échangés contre d'autres biens et services. Cependant, le troc présente un certain nombre de limites. Il est difficile de trouver des partenaires d'échange qui soient intéressés à échanger les biens et services que l'on propose. Il est également difficile d'évaluer la valeur relative des biens et services échangés.
C'est pourquoi, selon Smith, les individus ont progressivement adopté un autre système d'échange, basé sur la monnaie. La monnaie est un objet qui a une valeur intrinsèque et qui est accepté par tous comme moyen d'échange. Elle permet de résoudre les limites du troc en facilitant les échanges et en permettant une évaluation objective de la valeur des biens et services échangés.
La fable du troc d'Adam Smith est une théorie qui a été largement acceptée par les économistes. Cependant, elle a également été critiquée, notamment par les anthropologues. Ces critiques soutiennent que la fable du troc est une simplification grossière de la réalité historique. Ils soulignent que les échanges par le troc ont existé dans de nombreuses sociétés, y compris dans des sociétés modernes, mais le troc ne peut pas être appliqué dans de larges contextes inter-géographiques, c'est-à-dire à des échelles où se perd le climat de confiance. Ils soutiennent également que la monnaie a pu apparaitre pour des raisons autres que celles avancées par Smith, par exemple pour faciliter le paiement des impôts ou des services publics, comme le préconise les théoriciens de la MMT.
La théorie de David Graeber sur l'origine de la monnaie remet en question la vision traditionnelle de l'histoire économique. Elle suggère que la monnaie est un phénomène social complexe qui est lié à des relations de pouvoir et à des valeurs culturelles. Dans son ouvrage Dette : 5000 ans d'histoire, publié en 2011, l'anthropologue américain David Graeber propose une nouvelle théorie de l'origine de la monnaie. Cette théorie, qui s'oppose à la fable du troc d'Adam Smith, est basée sur l'idée que la dette est apparue bien avant la monnaie. La monnaie apporte un pouvoir libératoire à la dette.
Graeber soutient que les relations commerciales des premières sociétés humaines étaient basées sur la tenue de registres de dettes. Dans ce type de relations, les individus peuvent s'échanger des biens sans une compensation immédiate par la présence d'un autre bien. La dette s’effaçait lorsque qu'un bien avait été donné en retour. De cette manière, la dette permet un troc non-pas immédiat mais temporel.
Graeber soutient que la monnaie n'a été inventée qu'ensuite dans le but de faciliter le règlement des dettes (le pouvoir libératoire de la monnaie sur la dette). Elle permettait à l'individu qui avait une dette de la rembourser par un outil qui jouait un rôle de marchandise universelle si la marchandise envisagée n'était pas disponible en temps prévu, pour une raison ou une autre. La monnaie dispose ainsi d'un pouvoir libératoire sur la dette.
A l'instar de Mauss, Graeber souligne que la dette est un phénomène social fondamental. Elle est au cœur des relations humaines, qu'il s'agisse de relations personnelles, économiques ou politiques.
Critique de la fable du troc
Graeber critique la fable du troc d'Adam Smith en soulignant qu'elle est une simplification excessive de la réalité. Il soutient que le troc est un système d'échange complexe qui présente un grand nombre de limites. Il est difficile de trouver des partenaires d'échange qui soient intéressés à échanger les biens et services que l'on propose (dilemme de double coïncidence des besoins). Il est également difficile d'évaluer la valeur relative des biens et services échangés. Graeber soutient que la fable du troc est une construction idéologique qui a été utilisée pour justifier l'émergence de la monnaie.
Michel Aglietta, éminent économiste français et l'un des pères de la théorie de la régulation, a apporté une contribution significative à la compréhension de la monnaie en tant que pilier central des économies capitalistes. Sa vision approfondit le rôle de la monnaie non seulement comme moyen d'échange ou unité de compte, mais aussi comme un élément fondamental qui façonne les relations sociales et économiques à travers différents types de confiance : éthique, hiérarchique, et méthodique.
La confiance éthique est ancrée dans les valeurs partagées et les normes sociales qui sous-tendent les transactions économiques. Pour Aglietta, la monnaie porte en elle une dimension éthique car elle reflète les principes et les valeurs d'une société. Cela signifie que la valeur de la monnaie et sa capacité à fonctionner comme moyen d'échange reposent sur un consensus social sur ce qui est considéré comme juste et équitable. Cette forme de confiance est cruciale dans les phases de formation et de consolidation de la monnaie, où les individus doivent croire en la valeur intrinsèque de celle-ci pour qu'elle puisse effectivement servir de lien social.
La confiance hiérarchique, quant à elle, renvoie à la structure institutionnelle et aux autorités régulatrices qui émettent et contrôlent la monnaie. Aglietta souligne l'importance des institutions, comme les banques centrales, qui garantissent la stabilité monétaire et financière. Cette confiance est basée sur la capacité de ces institutions à maintenir la valeur de la monnaie et à assurer son bon fonctionnement dans l'économie. Il s'agit d'une dimension verticale de la confiance, où les citoyens s'en remettent à des autorités supérieures pour la gestion de la monnaie.
Enfin, la confiance méthodique se réfère à la prévisibilité et à la fiabilité des systèmes monétaires et financiers eux-mêmes. Cela implique des mécanismes de marché transparents, des règles claires et une règlementation efficace pour prévenir les crises financières. Cette forme de confiance est essentielle pour le fonctionnement quotidien des marchés et pour la planification économique à long terme. Elle permet aux acteurs économiques de se fier à la stabilité de la monnaie pour leurs échanges et investissements futurs.
En intégrant ces trois formes de confiance, Michel Aglietta met en évidence la complexité de la monnaie comme "ce qui fait système" dans l'économie. La monnaie n'est pas seulement un instrument économique, elle est aussi un lien social qui repose sur un équilibre délicat entre les valeurs partagées, la gouvernance institutionnelle et la fiabilité des systèmes financiers. Cette perspective enrichit notre compréhension de la monnaie, en la situant au cœur des dynamiques économiques et sociales qui façonnent les sociétés contemporaines.
Aristote, le philosophe de la Grèce antique, a apporté une contribution significative à la compréhension de la monnaie en décrivant ses trois fonctions principales. Ces fonctions sont toujours pertinentes pour comprendre le rôle de la monnaie dans les économies modernes :
Intermédiaire des Échanges : Aristote a identifié la monnaie comme un moyen pour faciliter les échanges. Dans les sociétés sans monnaie, les échanges se faisaient par troc, un système limité car il requérait une coïncidence des besoins entre les parties (ce que l'on appelle le dilemme de la "double coïncidence des besoins"). La monnaie permet de surmonter ce dilemme en agissant comme un intermédiaire accepté universellement, facilitant ainsi le commerce et les transactions.
Unité de Compte : La monnaie sert de mesure standard pour évaluer et comparer la valeur des biens et des services. Cette fonction permet d'établir des prix et d'organiser mathématiquement les comptabilités. En tant qu'unité de compte, la monnaie aide à structurer l'économie en fournissant pour tous les biens et services un système de prix reconnu par tous.
Réserve de Valeur : La monnaie permet de conserver la valeur dans le temps. Elle offre aux individus la possibilité d'économiser ou de reporter la consommation à l'avenir. Cette fonction est particulièrement importante dans une économie où les revenus et les dépenses ne se produisent pas simultanément. Pour que la monnaie soit une réserve de valeur efficace, elle doit maintenir sa valeur au fil du temps, ce qui est lié à la stabilité de la monnaie dans l'économie.
Contrairement aux monnaies basées sur des métaux précieux, les monnaies fiat sont instituées par l'État. Dépourvues de valeur intrinsèque, elles tirent leur valeur d'une obligation de cours légal, conférant ainsi des propriétés juridiques, comptables, fiscales, économiques et institutionnelles. La valeur d'une monnaie fiat repose sur le fait que c'est l'État qui en ordonne l'usage, par opposition à l'or qui instaura spontanément la confiance dans l'imaginaire collectif. Ainsi, si l'or instaure une confiance naturelle sans recours à l'autorité étatique, la monnaie fiat, quant à elle, s'appuie sur la confiance imposée par l'État et la loi, indépendamment de tout lien avec l'or.
Le terme "fiat" vient du latin signifiant qu'il en soit ainsi, soulignant que la valeur de cette monnaie est une création purement étatique.
Le système des monnaies fiat est devenu prédominant dans le monde depuis les accords de Jamaïque en 1976, qui ont définitivement rompu le lien entre les monnaies et l'or. Ce système est aujourd'hui utilisé par les États-Unis, l'Union européenne, le Japon, la Chine, et bien d'autres pays.
Les avantages de la monnaie fiat incluent sa praticité et sa facilité de transport. Cependant, cette monnaie présente des inconvénients, tels qu'une valeur potentiellement volatile et une susceptibilité à la manipulation par le gouvernement. Ce dernier point qui est avancé par les défenseurs des cryptomonnaies libertariennes, conçues pour avoir une quantité fixe et être émises de manière décentralisée, offrant ainsi une alternative à la gestion étatique (et erratique) des monnaies fiat. Le problème de ces monnaies privées réside dans le fait qu'elles ne se destineront en rien à des tâches publiques ou à vocation collectives. On envisage ici la chose monétaire que sous un angle purement marchand, ce qui rend cette solution inenvisageable en tant que modèle global. Ainsi, si la monnaie d’État peut poser des problèmes tels que l'aléa moral, une crypto libertarienne en apporte d'autres.
Le fait que la monnaie soit instituée comme ayant valeur de cours et d'usage au sein d'un territoire défini instaure une confiance institutionnelle (pour ne pas dire forcée). La reconnaissance de la monnaie d’État permet un troc spatial et temporel au delà des cercles de confiance locaux et territoriaux. Par exemple, la monnaie que vous avez gagné en décembre en vendant des choux-fleurs à Lille, vous permettra en Juillet d'acheter des tomates à Marseille. La monnaie instituée par l’État et le pouvoir régalien instaure son utilisation sur l'ensemble du territoire. Ainsi, jamais ne se posera la question de l'acceptation de cette monnaie à Lille ou à Marseille. Avec l'Euro, cette confiance institutionnelle va de Galway à Chypre.
Dans le monde financier contemporain, la distinction entre monnaies scripturales et monnaies fiduciaires est importante pour saisir le fonctionnement des systèmes monétaires. Les monnaies fiat, dont nous venons de parler, existent sous deux versions : fiduciaires (pièces et billets) et scripturales (écritures comptables). En Europe, 90 % de la masse monétaire est scripturale et seulement 10% sont des pièces et des billets.
Les Monnaies Fiduciaires
Il s'agit de mettre la marque du prince sur des ronds de nickel et des morceaux de papier. Les monnaies fiduciaires sont basées sur la confiance (fiducia en latin). Ce sont des monnaies déclarées comme moyen de paiement légal par un gouvernement, mais qui n'ont pas de valeur intrinsèque. Ainsi, les pièces et les billets "Euro" représentent la fiat monnaie Européenne dans sa forme fiduciaire. Leur valeur provient de la confiance que le public leur accorde. Les billets de banque et les pièces métalliques sont des exemples typiques de monnaies fiduciaires. Ils ne sont pas soutenus par des réserves physiques comme l'or ou l'argent, mais par la foi en la stabilité économique et politique de l'État émetteur.
D'un point de vue comptable, on peut dire que les pièces et les billets sont des soldes positifs (+) incarnés sous une forme matérielle. Ces soldes "+" ont un pouvoir libératoire sur les dettes (soldes "-"). Bien que la monnaie scripturale joue dorénavant ce même rôle de pouvoir libératoire via les modes de paiements modernes.
Les Monnaies Scripturales
Votre compte en banque contient des "Euro", fiat monnaie Européenne sous une forme d'écriture informatique. Les monnaies scripturales représentent la monnaie sous une forme comptable et logicielle sur les comptes bancaires. La majorité des transactions financières contemporaines se font en monnaie scripturale, via des transferts électroniques, des paiements par carte, des chèques ou des virements bancaires. Ce type de monnaie est géré par les banques, qui jouent un rôle essentiel dans la création de la monnaie scripturale à travers le processus de crédit.
Interactions et Implications Économiques
Dans les économies modernes, les monnaies scripturales et fiduciaires coexistent et interagissent. La monnaie fiduciaire sert souvent de base aux échanges quotidiens, tandis que la monnaie scripturale facilite les transactions commerciales de grande échelle et les échanges internationaux, mais s'implique de plus en plus dans les habitudes de tous les jours avec l'usage de la carte bancaire.
Le rôle des banques centrales est crucial dans la régulation de ces deux formes de monnaie. Elles contrôlent l'émission de monnaie fiduciaire et supervisent le système bancaire, qui crée la monnaie scripturale.
Les monnaies scripturales et fiduciaires sont des piliers des systèmes monétaires modernes, chacune jouant un rôle complémentaire dans l'économie mondialisée. Comprendre leur fonctionnement et leur interaction est essentiel pour saisir la complexité du monde financier actuel.
L'évolution technologique et l'innovation financière continuent de transformer le paysage monétaire. L'émergence des cryptomonnaies par exemple, défie les paradigmes traditionnels de la monnaie fiduciaire et scripturale. De telles évolutions appellent à une réflexion renouvelée sur la nature de la monnaie, son rôle dans l'économie et sa régulation par les institutions financières.
Un problème contre un autre
Prenez deux bœufs. Faites travailler l'un 15 heures et l'autre 3. En fin de journée donnez leurs la même ration de foin. Réitérez cette expérience d'injustice pendant quelques semaines. Que se passe t-il ? Rien ! Reproduisez cette même expérience avec deux hommes ; vous aurez un bain de sang au bout de quelque jours.
Il y a une grosse différence entre le cerveau de l'homme et celui du bœuf. Sans aller trop loin dans les théories du cerveau tri-unique de Paul Mac Lean, l'homme est un animal doté d'un cortex capable de produire une pensée abstraite. Il sait faire des mathématiques, parler, penser, produire et élaborer des concepts philosophiques, politiques, scientifiques. Il connait la notion de temps, d'effort, de morale, de mérite, de justice.
Comme tout animal sachant par instinct que l'énergie est une ressource vitale, l'humain est naturellement un partisan du moindre effort. Il ne manque jamais de compter le nombre de gouttes de sueur qui coulent de son front, et compare avec rigueur et suspicions son nombre de gouttes avec celui des autres. La monnaie aurait-elle été inventée par des paresseux pour éviter que d'autres paresseux puissent paresser plus qu'eux ?
Le travail requiers une dépense d'énergie supplémentaire. Cette idée part du principe que les hommes sont fondamentalement paresseux (dans le sens : soucieux de préserver leur énergie vitale et leur temps) et qu'ils détestent l'injustice et les tricheries, c'est le principe de réciprocité. Dans un contexte où l'énergie pourrait être rare, il convient de la préserver. Toute dépense d'énergie et de temps dans un labeur est mentalement interprétée comme une punition ou une servitude. Les enfants nous le démontrent très bien : s'amuser, c'est amusant ! Travailler, c'est contraignant ! A moins bien sûr, que vous soyez passionné par votre activité, auquel cas, celle-ci ne sera pas considérée comme une corvée (Ponos) mais comme un loisir (Ergon) d'où l'on tire satisfaction. Mais de manière générale, il est compliqué de tirer du plaisir en imposant à nos épaules de supporter quotidiennement 80 kg de souffre sur les pentes du Kawah Ijen.
Si les uns sont contraints, dans le cadre d'une tâche collective et à récompense égale, de dépenser plus d'énergie que les autres, des frictions sociales se feront sentir. Jusqu'à ce que ces frictions se transforment en conflit dont l'issue pourra produire un ordre social où les gagnants seront maitres et les perdants esclaves. Il sera donc exigé des esclaves qu'ils dépensent leur énergie, compromettent leur intégrité physique, et concèdent leur temps de vie pour le compte des maitres.
Dans un cadre de paix sociale égalitaire et où l'esclavagisme est aboli, les individus doivent réaliser leur "part de labeur" sans tricher. C'est peut-être pour cette raison que la maxime "tu gagneras ton pain à la sueur de ton front" s'est imposée, car elle pose une morale, un ordre social où chacun doit faire "sa part" dans l'idée de préserver la paix sociale dans le partage équitable des labeurs. Si, dans ce principe de réciprocité, certains refusent de faire leurs parts de labeurs, cela veut dire que d'autres devront la faire à leur place, créant ainsi une situation d'injustice et d'embrasement potentielle.
Instituer la monnaie dans la Cité des hommes permit possiblement de créer un climat de justice et d'équité, mais engendra de nouveaux problèmes. La création de l'argent n'eut pas tant pour effet d'instaurer une égalité face à l'effort, que de créer un climat de compétition productiviste puisque chaque effort vendu se convertissait en revenus. L'effort disposait dorénavant d'un moyen de le comptabiliser et de l'accumuler. La reconnaissance sociale de l'effort dispose dorénavant de son étalon : la monnaie, et elle se mis automatiquement au service de la vanité, l'ambition et la convoitise.
Si l'absence d'un moyen de comptabiliser les efforts peut favoriser la paresse, paradoxalement l'invention de ce moyen peut engendrer une recherche constante d'activités rentables dans des buts d'accumulation, de distinction sociale et de pouvoir.
Le souci de préserver l'énergie (traduit ici par une certaine idée de la paresse) fit place à la moindre occasion de la dépenser, non pas pour l'amour de l'effort, mais pour la distinction et la gratification qu'apportent l'accumulation financière (orgueil, envie, gourmandise, avarice, etc.). La création d'un pouvoir validé par l'argent engendra une société où il fut permis de travailler plus que les autres, mais à condition que chaque dépense d'énergie et de temps soit reconnue par autrui via l'argent. La monnaie su parfaitement tenir ce rôle, pour le meilleur et pour le pire. Si vous êtes riche en monnaie, l'imaginaire collectif suppose que ce doit être la conséquence de votre mérite dans l'idée d'avoir réalisé une tâche (une dépense d'énergie) que les autres, moins riches, n'ont pas faite.
Il ne nous viendrait pas à l'idée de décerner une place sur le podium à celui qui est dernier arrivé à une course. Intellectuellement, moralement, culturellement, nous ne fonctionnons pas comme cela. Il en va autant pour le sport que pour l'économie ou la guerre. Nos façons de décerner ou de consentir à des récompenses, des médailles ou des revenus est liée au fait que celui qui la reçoit doit la mériter de par ses actes, ses efforts, sa créativité. Ses victoires doivent être reconnues de manière consensuelle par autrui. Je considère que le mérite est donc une construction sociale, une "violence symbolique" permettant de légitimer une hiérarchie sans usage de la force réelle. Le mérite organise automatiquement un ordre social en évitant l'embrasement de la Cité. Comme un consentement à l'idée d'appartenir à cette hiérarchie, d'y être en "bas" si l'on a peu de mérite et d'être en "haut" si nos efforts ont été validés par la société.
Les hommes ne s'adonnent pas tant au travail par amour de celui-ci, mais pour accéder à la distinction sociale consécutive au mérite.
Ainsi, nous en sommes venus à idolâtrer l'effort et mépriser l'oisiveté et à faire de cela un conformisme, parce que cela nous confère des positions sociales. La norme sociale prend ainsi la forme d'une compétition économique permanente où si le mérite provient de vos actes, il convient de produire toujours plus d'actes dans le but d'obtenir toujours plus de mérites. Le mérite se met ici au service d'un désir narcissique de gratification sociale.
L'argent, dont l'usage était originellement l'interface d'échange, se mit au service du pécher des hommes et l’amplifia. Jusqu'à ce que cet outil d'échange devint un culte de puissance ostentatoire, puis une arme de domination politique et sociale. Une arme, tant de domination que de séduction (Ce que je désire chez l'autre, c'est que l'autre me désire).
L'argent est soit un outil, soit une maladie. Soit vous dominez l'argent, soit c'est l'argent qui vous domine.
Je soupçonne que les hommes ne se contraignent pas tant au labeur parce qu'il est utile que par désir de gratification et de validation sociale parce qu'ils travaillent et démontrent ostensiblement de la puissance aux regards d'autrui, par la grosseur des porte-monnaies ou le prix des berlines de luxe. L'invention de l'argent permit de nous libérer d'une forme d'injustice (la colère des actifs à l'égard les oisifs) pour des démonstrations orgueilleuses d'accumulations de nos actes de "courage". Finalement, rien n'est plus vrai que cette maxime : L'argent est un bon outil entre les mains d'un mauvais maitre. Le fait de pouvoir comptabiliser et accumuler nos mérites via l'argent, ne fit qu'apporter une nouvelle manière d'amplifier nos péchés. Tout ce que nous avons fait c'est de remplacer une servitude par une autre.
Pour conclure
Nous voyons que la monnaie n'est qu'une construction sociale et n'est en rien déterminée par les critères de la physique. Les systèmes monétaires sont des conventions humaines et techniques, des mécanismes potentiellement multiples, infinis et que l'on peut désigner à dessein.
Le modèle monétaire actuel, basé sur l'idée que l'économie ne relève que d'un grand marché efficient et autorégulateur n'est en rien le plus pertinent dans la réalisation de nos objectifs de soutenabilité et de préservation des conditions de la vie sur Terre. Bien au contraire, il l’aggrave dans l'idée que seule vraie richesse est matérielle, oubliant de fait que cette dernière n'est possible que grâce à l'existence de richesses intangibles.
L'objectif de NEMO IMS est de proposer un système qui tiendra compte d'un équilibre entre une production de biens et services essentiels avec la préservation des services écosystémiques.
Dans les prochains chapitres, nous explorerons de nouveaux imaginaires et de nouveaux paradigmes monétaires, bancaires et financiers. En tant qu'évolutions conceptuelles radicales, ces nouveaux modèles permettront la réalisation de nos enjeux sociaux et environnementaux tout en permettant aux hommes et aux sociétés de se libérer de la servitude et de l'extraction, de mettre du sens et de la pertinence dans leurs actes, de permettre une certaine forme de prospérité (différente de la richesse) et de garantir les critères sociaux sans recours à la croissance.